Disposer d’une équipe motivée et capable de prendre des initiatives… Un rêve de manager qui n’a rien d’inaccessible.
Une femme de chambre du Ritz-Carlton de New York offrant sur le compte de l’hôtel un gâteau et une coupe de champagne à une bonne cliente pour son anniversaire ? Rien d’inhabituel pour ce célèbre palace où chaque membre du personnel dispose d’une enveloppe de 2 000 dollars lui permettant de satisfaire les clients à sa guise, sans en référer à un quelconque supérieur. La cliente comme l’employée y trouvent leur compte. La première est touchée par l’attention. La seconde est heureuse de prendre une initiative qui dépasse ses prérogatives habituelles. Cet exemple montre que chaque échelon hiérarchique peut faire preuve d’initiative et que l’entreprise s’en trouve gagnante. Un constat confirmé par une enquête du cabinet américain LRN (conseil et formation). Dans un environnement de travail qui favorise l’autonomie, les innovations sont cinq fois plus nombreuses que dans une entreprise ultrahiérarchisée ; le turnover y est trois fois moins élevé et la satisfaction client, neuf fois supérieure.
Dès lors, pourquoi les organigrammes rigides et le contrôle permanent demeurent-ils la règle dans la plupart des entreprises ? Parce qu’elles appliquent une méthode décrite dans les années 1960 par le psychosociologue Douglas McGregor («The Human Side of Enterprise») sous le nom de «théorie X». Selon celle-ci, l’individu moyen n’aime pas travailler. Il faut donc le contraindre, voire le menacer pour qu’il s’exécute. Il en résulte un cercle vicieux : confrontés à des règles strictes et à des contrôles sévères, les salariés travaillent le moins possible. Ils fuient le risque car il n’est pas récompensé et les performances restent moyennes. Douglas McGregor préconise plutôt d’appliquer la «théorie Y», qui suppose, pour sa part, des relations reposant sur la confiance, la délégation et l’autocontrôle, avec des équipes qui s’impliquent et prennent des initiatives. Enthousiaste, le chercheur prédisait la disparition des entreprises fonctionnant selon la théorie X. Nous en sommes loin. Mais l’idée fait son chemin.
Instaurez une atmosphère de confiance réciproque
Imposer sa façon de faire, se montrer inflexible sur les horaires… L’excès de normes entraîne, en général, des comportements de fuite. «Et tôt ou tard, cela devient contre-productif, observe Isaac Getz, docteur en psychologie et en management. Au lieu de se concentrer sur leur travail, vos collaborateurs n’auront plus qu’une envie : contourner les règles.» Pour Dominique Templier, consultant et représentant en France du cabinet LNR, il faut donc miser sur la confiance, selon un principe qu’il résume, en anglais, par les quatre lettre de l’acronyme Trip : Trust (ou confiance), Risk, Innovation, Progress. «Pour progresser et être capable d’endosser de nouvelles responsabilités, il est essentiel d’innover, en prenant des initiatives sans en référer à son supérieur, par exemple. Mais cela suppose d’évoluer dans un climat incitatif.»
La confiance doit être mutuelle. Suivant ce principe, LRN ne donne aucune consigne en matière de notes de frais à ses salariés. «Voyage en première ou en seconde classe, hôtel de luxe ou de milieu de gamme… Chacun dépense ce qu’il juge nécessaire pour accomplir du bon travail», poursuit Dominique Templier. Résultat, aucun excès n’a été constaté par les ressources humaines. Les frais ont même diminué depuis que cette politique a été mise en place.
Restez vigilant en pratiquant des contrôles aléatoires
Bien sûr, certains tenteront de profiter de cette liberté pour en faire moins et manquer de rigueur. Mais la confiance n’exclut pas le contrôle ! Pratiquez-le de façon souple et aléatoire, afin que personne ne se sente particulièrement visé.
C’est la recette qu’applique David Alia, directeur médias, Internet et loisirs chez Octo Technology. Dans cette SSII, chaque salarié peut prendre ses congés quand il le souhaite. Il lui suffit d’en informer son supérieur par un e-mail. «Pour m’assurer que personne n’abuse de cette souplesse, je me montre vigilant, particulièrement au printemps lors des ponts, explique-t-il. Je m’assure que ceux qui ont choisi de travailler sont réellement présents ou bien je profite, les jours suivants, d’une pause-café pour leur demander sur quel projet ils ont avancé.»
L’idéal est d’arriver à instaurer des réflexes d’autocontrôle au sein de votre équipe. Ceux qui voient les bénéfices de ce climat de confiance rappelleront à l’ordre ceux qui pourraient en compromettre l’existence par des abus. Chez Sewell Automotive Companies, une entreprise américaine du secteur automobile, un groupe de salariés a ainsi poussé à la démission un nouveau venu qui surfacturait des réparations aux clients. «Si un collaborateur est pris en faute, appliquez la tolérance zéro, recommande Isaac Getz. Car si vous ne réagissez pas vigoureusement, le reste de l’équipe ne comprendra pas.» En revanche, traitez cet écart comme une exception : l’erreur serait de revenir aux règles rigides, en espérant éviter d’autres dérives. Cette sanction généralisée, injuste au demeurant, pousserait vos salariés à se replier sur eux-mêmes.
Efforcez-vous de vous adapter au rythme de chacun
Dans un monde idéal, l’entreprise s’adapterait aux collaborateurs et non l’inverse. Dans la réalité, les salariés jouent les caméléons : ils respectent les horaires imposés, travaillent dans des open spaces surpeuplés… Mais certaines sociétés cherchent à sortir de ce modèle. Deux anciennes DRH du groupe de distribution américain Best Buy ont ainsi inventé le concept de ROWE, pour Results Only Work Environment (environnement de travail orienté résultats). Il repose sur une idée simple : l’important est que le travail soit fait ; aux collaborateurs de décider comment y parvenir. Dans les entreprises qui mettent ce principe en œuvre, les salariés travaillent quand ils le souhaitent (les horaires sont libres et flexibles) et de la manière qui leur convient le mieux : chez eux ou au bureau, en organisant leurs rendez-vous clients en face-à-face ou par visioconférence, etc. «Avec un tel fonctionnement, ils se focalisent plus sur le travail que sur le temps dont ils auront besoin», note Patrice Barbedette, vice-président de Taleo (éditeur de solutions de gestion des talents). Cela suppose toutefois que les managers n’imposent pas leur façon de faire. «Ils doivent intégrer que leurs équipes ont une obligation de résultat, pas de moyens», observe Isaac Getz.
Développez la “motivation intrinsèque” des salariés
Pour encourager vos collaborateurs à sortir de la routine, il faut les amener à s’engager davantage. C’est ce que les experts appellent la «motivation intrinsèque». Liée à l’envie d’accomplir quelque chose, elle est à la fois plus profonde et plus durable que l’intérêt suscité par une récompense. «Quand on est animé par ce que l’on fait, on se donne sans compter et on n’hésite pas à dépasser le périmètre de son poste», observe Patrice Barbedette. A contrario, lorsqu’un individu agit uniquement sous la pression, son implication disparaît dès que celle-ci diminue.
Comment susciter cette motivation intrinsèque ? Oubliez les méthodes traditionnelles : la carotte et le bâton, les primes… Les psychologues américains Edward Deci et Richard Ryan (auteurs de «Motivation intrinsèque» et «Théorie de l’autodétermination») ont démontré que la motivation intrinsèque était déconnectée de ces leviers. Certes, la confiance et la liberté d’agir y contribuent, sans pourtant être suffisantes. Il faut en outre donner du sens aux actions : expliquer pourquoi elles doivent être réalisées ; quel est l’enjeu d’un projet… «Insistez sur le “pourquoi”, poursuit Patrice Barbedette.
Ensuite, faites en sorte que les salariés se sentent partie prenante.» VKR France (filiale de Velux) a ainsi revu son organisation. «L’usine est désormais structurée en mini-ateliers. Chaque entité est chargée de fabriquer, de A à Z, en autonomie complète, une fenêtre entière et non plus seulement une partie ou une pièce, explique le directeur, Renaud Grasset. Les ouvriers voient concrètement à quoi sert leur travail.» L’entreprise exploite aussi les goûts de chacun pour développer des compétences supplémentaires et élargir les missions des collaborateurs : un ouvrier, passionné de jardinage, s’occupe ainsi, à chaque fois qu’il le juge nécessaire, de l’entretien des espaces verts de la société.
Pour développer l’implication de vos collaborateurs, organisez régulièrement des réunions les informant des résultats de l’entreprise. Présentez-leur les projets en cours et à venir… L’objectif est que chacun se demande ce qu’il peut faire, à son échelle, pour favoriser le développement de la société.
Sachez reconnaître le mérite de chacun de façon innovante
Pour inciter vos salariés à devenir plus autonomes, il faut les y encourager. En reconnaissant leurs efforts, vous développerez leur confiance en eux et vous les pousserez à s’engager encore davantage dans cette voie. Mais pour enclencher ce cercle vertueux, il est important de récompenser les comportements plutôt que les simples résultats. Et de prévoir des encouragements qui soient, là encore, différents des habituelles primes. Depuis 1996, VKR remet chaque année un trophée à une dizaine de collaborateurs seulement dans le monde, saluant leur exemplarité et leur engagement. Un prix devenu, au fil des ans, très convoité. Si vous optez néanmoins pour une rétribution financière, allouez dans ce cas une enveloppe par équipe. Laissez ensuite les collaborateurs décider entre eux de sa répartition. Provenant de collègues, la prime prendra aux yeux de ses bénéficiaires une valeur particulière.
La reconnaissance des efforts accomplis se révèle également un formidable levier de motivation et donc d’engagement sur le long terme. «Profitez de tête-à-tête mensuels ou bimensuels pour saluer les prises d’initiatives, donner des conseils ou proposer des outils supplémentaires, comme une formation», recommande Ricardo Croati, coach et dirigeant de France Training.
Guidez les réfractaires vers leur zone de confort
Tout le monde n’a pas forcément envie de plus d’autonomie. Certains trouvent très confortable de n’accomplir que ce qu’on leur demande. Pour identifier ces personnes, profitez des entretiens individuels ou de conversations plus informelles. Puis proposez-leur de passer des tests de connaissances ou de compétences pour en apprendre davantage sur eux. Ainsi, Santiago Diez, directeur du réseau d’agences de travail temporaire Arobase interim, utilise le Predictive Index, une grille d’analyse qui permet, en quelques questions, de définir le profil d’un individu. «J’obtiens des indications sur sa façon de se comporter avec les autres, d’influencer son entourage ou au contraire d’être influencé par lui, son besoin d’être encadré. Je m’assure alors que le poste correspond bien à sa personnalité et, si besoin, je le fais évoluer afin qu’il se sente plus à l’aise.» Pour le consultant Joseph Machiah, qui propose cet outil, il s’agit de «placer chacun dans sa zone de confort». On oppose alors moins de résistance et on recherche plus volontiers les responsabilités.
Autre piste : utiliser un langage non contraignant, pour favoriser l’autonomie plutôt que l’obéissance. Aux verbes «devoir» ou «falloir» préférez «réfléchir» ou «envisager». Et si les réfractaires se montrent toujours frileux, rassurez-vous : «Il n’est pas indispensable que toute votre équipe devienne autonome, nuance Ricardo Croati. Concentrez vos efforts sur les plus réceptifs. Ils finiront par entraîner les autres dans leur sillage.» Y compris les réfractaires des débuts.